Comment les bouleversements écologiques nous changent en tant que médecins ?
Comment les bouleversements écologiques nous changent en tant que médecins ?
Champ Date
16.05.2024 - 09:16
Résumé
La crise écologique est la plus grande menace pour la santé à laquelle l'humanité est confrontée (OMS).
Face à ce constat alarmant, nous, médecins, acteur.ices de première ligne dans le domaine de la santé, nous retrouvons confronté.es à une double épreuve : celle de traiter les pathologies dans un monde en pleine mutation écologique et celle de gérer l'impact de cette crise sur nous-mêmes.
Face à ce constat alarmant, nous, médecins, acteur.ices de première ligne dans le domaine de la santé, nous retrouvons confronté.es à une double épreuve : celle de traiter les pathologies dans un monde en pleine mutation écologique et celle de gérer l'impact de cette crise sur nous-mêmes.
Billet
La crise écologique est la plus grande menace pour la santé à laquelle l'humanité est confrontée (OMS).
Face à ce constat alarmant, nous, médecins, acteur.ices de première ligne dans le domaine de la santé, nous retrouvons confronté.es à une double épreuve : celle de traiter les pathologies dans un monde en pleine mutation écologique et celle de gérer l'impact de cette crise sur nous-mêmes. L'éco-anxiété, parmi d'autres éco-émotions, devient un phénomène courant non seulement chez les patient.es mais aussi chez les soignants eux/elles-mêmes. Cette prise de conscience grandissante autour des enjeux climatiques et environnementaux interpelle sur la nécessité d'une introspection professionnelle et personnelle profonde.
Les mutations climatiques affectent la santé, y compris celle des médecins. En tant qu'humain.es, nous sommes changé.es par ce qui nous traverse. Traversé.es par les bouleversements climatiques, nous subissons également les intempéries, l'augmentation du nombre de cancers, de stérilités, de pollutions... Et nous ressentons également différentes éco-émotions dont l'anxiété fait partie : la frustration, la rage, la déception, la peur, la tristesse, le désespoir, l'indifférence, l'optimisme, l'impuissance...
Ces émotions débordent la sphère intime et s'invitent dans la sphère professionnelle face aux différents déterminants de santé globaux et systémiques sur lesquels il semble parfois difficile d'agir et aussi face à la nécessité d'induire du changement chez nos patient.es pour tendre vers de nouveaux modes de vie respectueux des vivants.
La crise écologique génère des questionnements. Comme nos patient·es, nous pouvons nous interroger sur l'avenir de la planète, sur nos modes de vie, sur nos choix. Les mutations climatiques font apparaître les insuffisances sur nos modèles, nos pratiques, notre système de soin.
En tant que médecins européen.nes nous intéressant aux mutations climatiques, nous réalisons un paradoxe. Nos soins hypertechniques aident au maintien en vie et à l'augmentation de l'espérance de vie, mais génèrent pollutions et inégalités importantes de santé. Cela met en contradiction des valeurs : prendre soin et écologie.
-Le milieu du soin n'est pas exempt de pollutions et d'émissions. S'il serait souhaitable que celles-ci soient les plus faibles possibles, nous pouvons nous demander si les limites écologiques dans les soins vont un jour se poser dans nos sociétés. Autrement dit, si nous devrons intégrer dans nos décisions de prise en charge l'aspect environnemental. Certain.es praticien.nes réfléchissent à des solutions pour limiter leur impact, telle une limitation de production de déchets au bloc opératoire par exemple, ou une déprescription de soins non nécessaires.
-Nos soins créent des inégalités géographiques importantes: les pays accueillant nos industries, nos déchets et les pollutions associées sont souvent les premiers à subir les conséquences des mutations climatiques.
-Notre mode de vie et nos soins générateurs de pollutions questionnent les conditions de vie sur terre pour les prochaines générations. Une surmortalité de plus en plus importante est prévue conjointement avec le franchissement des limites planétaires.
La médecine contemporaine (qui commença après-guerre 1939-1945) partage la même histoire industrielle que l'agronomie moderne. On peut y voir des similitudes. Dans cette dernière, on identifie les besoins d'un végétal, d'un animal. On lui apporte en cas de risque des apports extrinsèques (engrais/alimentation enrichie) ou des médicaments préventifs (insecticides/antibiotiques). En cas de maladie, on traite. L'environnement devient secondaire et les monocultures sont la règle, entraînant un appauvrissement inquiétant des milieux.
Or, l'appauvrissement des sols, la désertification croissante à l'échelle planétaire, notre rapport industriel aux animaux, l'extinction des insectes et des oiseaux résonnent chez nous avec l'augmentation du nombre de dépressions, de burn outs, l'explosion des maladies chroniques, des douleurs chroniques, la solitude et l'isolement d'une bonne partie des gens vus en consultation. L'accélération, le manque de moments de résonance produits par notre société moderne génèrent une insuffisance qualitative de vie, c'est à dire une vie appauvrie.
Autrement dit, pour augmenter un quantitatif présent et spatialement défini (le nombre d'années en vie, le nombre de patient.es vu.es, l'argent économisé, le bénéfice des actionnaires de telle entreprise), nous décidons de sacrifier le qualitatif présent (consultations courtes, isolement social, hyperconnexion aux écrans, sens du travail, burn out) et le quantitatif/qualitatif futur (habitabilité de la terre remise en question, augmentation des inégalités sociales et des migrations, hypertechnicisation, crise démocratique, surmortalité, antibiorésistance).
Face à une qualité de vie en déclin, manifestée par des syndromes tels que le burn out ou les douleurs chroniques, le système médical actuel se heurte souvent à ses propres limites. La conception du corps humain comme une simple ressource à optimiser révèle ses insuffisances face à la complexité des maux engendrés par notre société contemporaine. Cette situation met en lumière les contradictions inhérentes à notre système de santé et à nos modes de vie, particulièrement à travers l'exigence souvent formulée du "retour au travail".
Cette injonction, perçue comme vitale pour l'équilibre sociétal et personnel, se trouve en réalité au cœur d'un paradoxe : c'est précisément l'intensité et les conditions de travail actuelles qui contribuent à l'érosion de cet équilibre. Le modèle dominant, qui valorise la performance et la productivité au détriment du bien-être individuel et collectif, suscite des interrogations profondes sur la pertinence et l'humanité de nos pratiques professionnelles et médicales.
Dans ce contexte, nous, les médecins, tout comme nos patients, sommes confronté.es à un défi de taille : comment concilier la nécessité de préserver la santé avec les impératifs d'un monde du travail de plus en plus exigeant ? Cette question soulève la nécessité d'une approche plus holistique et intégrative de la médecine, qui ne se limite pas à traiter les symptômes mais cherche à comprendre et à agir sur les causes profondes des malaises contemporains.
Être soi-même traversé.es par ces éco-émotions et questionnements nous aide à accompagner les patient.es écoanxieux.ses. S'être senti.e envahi.e par ces émotions, avoir ressenti de l'effroi, de la rage, de l'impuissance permet de les nommer finement, de saisir leurs origines par rapport à l'actualité climatique et finalement de trouver la juste distance, permet de retrouver des prises sur le réel plutôt que de s'enfermer dans une certaine apathie écologique : 'c'est trop grave', 'trop grand', 'trop effrayant'. Nos émotions reprennent leur rôle originel : quels comportements, quelle mise en mouvement pourrais-je mettre en oeuvre pour agir face à l'urgence et en quelque sorte reconquérir ma liberté d'action, en conscience ?
Avoir fait soi-même ce chemin permet de savoir nommer avec précision les éco-émotions de nos patient.es. Mettre des mots sur la souffrance permet aux patient.es de se sentir compris.es, accompagné.es. D'autant plus qu'une des "couches" de souffrance qui s'ajoute souvent à l'éco-anxiété est l'incompréhension des proches, générant un sentiment de rejet.
Face à ce constat alarmant, nous, médecins, acteur.ices de première ligne dans le domaine de la santé, nous retrouvons confronté.es à une double épreuve : celle de traiter les pathologies dans un monde en pleine mutation écologique et celle de gérer l'impact de cette crise sur nous-mêmes. L'éco-anxiété, parmi d'autres éco-émotions, devient un phénomène courant non seulement chez les patient.es mais aussi chez les soignants eux/elles-mêmes. Cette prise de conscience grandissante autour des enjeux climatiques et environnementaux interpelle sur la nécessité d'une introspection professionnelle et personnelle profonde.
Les mutations climatiques affectent la santé, y compris celle des médecins. En tant qu'humain.es, nous sommes changé.es par ce qui nous traverse. Traversé.es par les bouleversements climatiques, nous subissons également les intempéries, l'augmentation du nombre de cancers, de stérilités, de pollutions... Et nous ressentons également différentes éco-émotions dont l'anxiété fait partie : la frustration, la rage, la déception, la peur, la tristesse, le désespoir, l'indifférence, l'optimisme, l'impuissance...
Ces émotions débordent la sphère intime et s'invitent dans la sphère professionnelle face aux différents déterminants de santé globaux et systémiques sur lesquels il semble parfois difficile d'agir et aussi face à la nécessité d'induire du changement chez nos patient.es pour tendre vers de nouveaux modes de vie respectueux des vivants.
La crise écologique génère des questionnements. Comme nos patient·es, nous pouvons nous interroger sur l'avenir de la planète, sur nos modes de vie, sur nos choix. Les mutations climatiques font apparaître les insuffisances sur nos modèles, nos pratiques, notre système de soin.
En tant que médecins européen.nes nous intéressant aux mutations climatiques, nous réalisons un paradoxe. Nos soins hypertechniques aident au maintien en vie et à l'augmentation de l'espérance de vie, mais génèrent pollutions et inégalités importantes de santé. Cela met en contradiction des valeurs : prendre soin et écologie.
-Le milieu du soin n'est pas exempt de pollutions et d'émissions. S'il serait souhaitable que celles-ci soient les plus faibles possibles, nous pouvons nous demander si les limites écologiques dans les soins vont un jour se poser dans nos sociétés. Autrement dit, si nous devrons intégrer dans nos décisions de prise en charge l'aspect environnemental. Certain.es praticien.nes réfléchissent à des solutions pour limiter leur impact, telle une limitation de production de déchets au bloc opératoire par exemple, ou une déprescription de soins non nécessaires.
-Nos soins créent des inégalités géographiques importantes: les pays accueillant nos industries, nos déchets et les pollutions associées sont souvent les premiers à subir les conséquences des mutations climatiques.
-Notre mode de vie et nos soins générateurs de pollutions questionnent les conditions de vie sur terre pour les prochaines générations. Une surmortalité de plus en plus importante est prévue conjointement avec le franchissement des limites planétaires.
La médecine contemporaine (qui commença après-guerre 1939-1945) partage la même histoire industrielle que l'agronomie moderne. On peut y voir des similitudes. Dans cette dernière, on identifie les besoins d'un végétal, d'un animal. On lui apporte en cas de risque des apports extrinsèques (engrais/alimentation enrichie) ou des médicaments préventifs (insecticides/antibiotiques). En cas de maladie, on traite. L'environnement devient secondaire et les monocultures sont la règle, entraînant un appauvrissement inquiétant des milieux.
Or, l'appauvrissement des sols, la désertification croissante à l'échelle planétaire, notre rapport industriel aux animaux, l'extinction des insectes et des oiseaux résonnent chez nous avec l'augmentation du nombre de dépressions, de burn outs, l'explosion des maladies chroniques, des douleurs chroniques, la solitude et l'isolement d'une bonne partie des gens vus en consultation. L'accélération, le manque de moments de résonance produits par notre société moderne génèrent une insuffisance qualitative de vie, c'est à dire une vie appauvrie.
Autrement dit, pour augmenter un quantitatif présent et spatialement défini (le nombre d'années en vie, le nombre de patient.es vu.es, l'argent économisé, le bénéfice des actionnaires de telle entreprise), nous décidons de sacrifier le qualitatif présent (consultations courtes, isolement social, hyperconnexion aux écrans, sens du travail, burn out) et le quantitatif/qualitatif futur (habitabilité de la terre remise en question, augmentation des inégalités sociales et des migrations, hypertechnicisation, crise démocratique, surmortalité, antibiorésistance).
Face à une qualité de vie en déclin, manifestée par des syndromes tels que le burn out ou les douleurs chroniques, le système médical actuel se heurte souvent à ses propres limites. La conception du corps humain comme une simple ressource à optimiser révèle ses insuffisances face à la complexité des maux engendrés par notre société contemporaine. Cette situation met en lumière les contradictions inhérentes à notre système de santé et à nos modes de vie, particulièrement à travers l'exigence souvent formulée du "retour au travail".
Cette injonction, perçue comme vitale pour l'équilibre sociétal et personnel, se trouve en réalité au cœur d'un paradoxe : c'est précisément l'intensité et les conditions de travail actuelles qui contribuent à l'érosion de cet équilibre. Le modèle dominant, qui valorise la performance et la productivité au détriment du bien-être individuel et collectif, suscite des interrogations profondes sur la pertinence et l'humanité de nos pratiques professionnelles et médicales.
Dans ce contexte, nous, les médecins, tout comme nos patients, sommes confronté.es à un défi de taille : comment concilier la nécessité de préserver la santé avec les impératifs d'un monde du travail de plus en plus exigeant ? Cette question soulève la nécessité d'une approche plus holistique et intégrative de la médecine, qui ne se limite pas à traiter les symptômes mais cherche à comprendre et à agir sur les causes profondes des malaises contemporains.
Être soi-même traversé.es par ces éco-émotions et questionnements nous aide à accompagner les patient.es écoanxieux.ses. S'être senti.e envahi.e par ces émotions, avoir ressenti de l'effroi, de la rage, de l'impuissance permet de les nommer finement, de saisir leurs origines par rapport à l'actualité climatique et finalement de trouver la juste distance, permet de retrouver des prises sur le réel plutôt que de s'enfermer dans une certaine apathie écologique : 'c'est trop grave', 'trop grand', 'trop effrayant'. Nos émotions reprennent leur rôle originel : quels comportements, quelle mise en mouvement pourrais-je mettre en oeuvre pour agir face à l'urgence et en quelque sorte reconquérir ma liberté d'action, en conscience ?
Avoir fait soi-même ce chemin permet de savoir nommer avec précision les éco-émotions de nos patient.es. Mettre des mots sur la souffrance permet aux patient.es de se sentir compris.es, accompagné.es. D'autant plus qu'une des "couches" de souffrance qui s'ajoute souvent à l'éco-anxiété est l'incompréhension des proches, générant un sentiment de rejet.